Mgr Viganò commente le Motu Proprio Traditionis Custodes.

11 Agosto 2021 Pubblicato da

Marco Tosatti

Chers amis et ennemis de Stilum Curiae, c’est avec plaisir que nous vous offrons l’intervention de Mgr Carlo Maria Viganò sur le Motu Proprio Traditionis Custodes dans la traduction française éditée par les Dominicains d’Avrille. Bonne lecture.

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LAPIDES CLAMABUNT

Dico vobis quia si hii tacuerint, lapides clamabunt.
Lc 19, 40

Traditionis custodes : tel est l’incipit du document par lequel François annule impérativement le précédent Motu Proprio Summorum Pontificum de Benoît XVI. Le ton presque moqueur de la citation pompeuse de Lumen Gentium n’aura pas échappé à l’attention : au moment même où Bergoglio reconnaît les évêques comme les gardiens de la Tradition, il leur demande d’empêcher son expression priante la plus élevée et la plus sacrée. Ceux qui essaient de trouver une sorte d’escamotage dans les plis du texte pour le contourner devraient savoir que le brouillon envoyé à la Congrégation pour la doctrine de la foi pour révision était extrêmement plus drastique que le texte final : une confirmation, s’il en était besoin, qu’aucune pression particulière n’était nécessaire de la part des ennemis historiques de la liturgie tridentine – à commencer par les érudits de Sant’Anselmo – pour convaincre Sa Sainteté de s’essayer à ce qu’il fait de mieux : démolir. Ubi solitudinem faciunt, pacem appellant [1].

Le modus operandi de François

François a une fois de plus infirmé la pieuse illusion de l’herméneutique de la continuité, en déclarant que la coexistence du Vetus et du Novus Ordo est impossible parce qu’ils sont l’expression de deux approches doctrinales et ecclésiologiques irréconciliables. D’une part, il y a la messe apostolique, la voix de l’Église du Christ ; d’autre part, il y a la « célébration eucharistique » montinienne, la voix de l’Église conciliaire. Et il ne s’agit pas d’une accusation, bien que légitime, portée par ceux qui expriment des réserves à l’égard du rite réformé et de Vatican II, mais d’un aveu, voire d’une fière affirmation d’appartenance idéologique de la part de François lui-même, chef de la faction la plus extrémiste du progressisme. Son double rôle de pape et de liquidateur de l’Église catholique lui permet d’une part de la démolir au moyen de décrets et d’actes de gouvernement, et d’autre part d’utiliser le prestige que lui confère sa fonction pour établir et répandre la nouvelle religion sur les décombres de l’ancienne. Peu importe que ses actes contre Dieu, contre l’Église et contre le troupeau du Seigneur soient en contradiction flagrante avec ses appels à la parrhésie [2], au dialogue, à la construction de ponts et non à l’érection de murs : l’Église de la miséricorde et l’hôpital de campagne s’avèrent être des artifices rhétoriques vides de sens, alors que ce sont les catholiques qui devraient en bénéficier, et non les hérétiques ou les fornicateurs. En fait, chacun de nous sait que l’indulgence d’Amoris laetitia à l’égard du concubinage et de l’adultère publics serait impensable pour ces personnes « rigides » contre lesquelles Bergoglio lance ses flèches dès qu’il en a l’occasion.

Nous avons tous compris, après des années de pontificat, que les raisons invoquées par Bergoglio pour refuser une rencontre avec un prélat, un politicien ou un intellectuel conservateur ne s’appliquent pas au cardinal abuseur, à l’évêque hérétique, au politicien avorteur, à l’intellectuel mondialiste. Il y a, en somme, une nette différence de comportement, à partir de laquelle on peut constater la partialité et l’esprit de parti de François au profit de toute idéologie, pensée, projet, expression scientifique, artistique ou littéraire qui n’est pas catholique. Tout ce qui évoque, même vaguement, quelque chose de catholique semble susciter chez le locataire de Santa Marta une aversion pour le moins déconcertante, ne serait-ce qu’en raison du trône sur lequel il est assis. Beaucoup ont noté cette dissociation, cette sorte de bipolarité d’un pape qui ne se comporte pas comme un pape et ne parle pas comme un pape. Le problème est que nous ne sommes pas confrontés à une sorte de fuite de la papauté, comme cela pourrait se produire en présence d’un Pontife malade ou très âgé ; mais à une action constante, organisée et planifiée qui est diamétralement opposée à l’essence même de la papauté. Non seulement Bergoglio ne condamne pas les erreurs du temps présent – il ne l’a jamais fait ! – en réaffirmant avec force la Vérité catholique, mais il travaille activement à les répandre, à les promouvoir, à encourager leurs partisans, à diffuser leurs maximes et à accueillir leurs événements au Vatican, tout en réduisant au silence ceux qui dénoncent ces erreurs. Non seulement il ne punit pas les prélats fornicateurs, mais il les promeut et même les défend en mentant, tandis qu’il écarte les évêques conservateurs et ne cache pas son agacement devant les appels poignants des cardinaux qui ne sont pas en phase avec la nouvelle orientation. Non seulement il ne condamne pas les politiciens avorteurs qui se proclament catholiques, mais il intervient pour empêcher la Conférence épiscopale de se prononcer sur la question, contredisant ainsi cette voie synodale qui lui permet en revanche d’utiliser une minorité d’ultra-progressistes pour imposer sa volonté à la majorité des Pères synodaux.

La constante de cette attitude, décelable dans sa forme la plus effrontée et arrogante dans Traditionis custodes, est la duplicité et le mensonge. Une façade de duplicité, bien sûr, qui est quotidiennement désavouée par des prises de position tout sauf prudentes en faveur d’un parti bien précis, que par souci de concision nous pouvons identifier à la gauche idéologique, ou plutôt à son évolution la plus récente en termes globalistes, écologiques, transhumains et LGBTQ. Nous en sommes arrivés au point où même les gens simples, peu au fait des questions doctrinales, ont compris que nous avons un pape qui n’est pas catholique, du moins au sens strict du terme. Cela pose d’importants problèmes de nature canonique, qu’il ne nous appartient pas de résoudre, mais qui devront l’être tôt ou tard.

Extrémisme idéologique

Un autre élément significatif de ce pontificat, porté à ses conséquences extrêmes avec Traditionis custodes, est l’extrémisme idéologique de Bergoglio. Un extrémisme qui est déploré en paroles quand il concerne les autres, mais qui se manifeste dans son expression la plus violente et la plus impitoyable quand c’est lui-même qui le met en pratique contre les clercs et les laïcs liés au rite ancien et fidèles à la Sainte Tradition. Et s’il se montre prêt à faire des concessions et à entretenir des relations de « bon voisinage » avec la Fraternité Saint-Pie X, il ne fait preuve d’aucune compréhension ni d’aucune humanité envers les pauvres prêtres et fidèles qui doivent endurer mille humiliations et chantages pour mendier une messe en latin. Ce comportement n’est pas fortuit : le mouvement de Monseigneur Lefebvre jouit de sa propre autonomie et de son indépendance économique, et pour cette raison n’a aucune raison de craindre des représailles ou une mise sous séquestre par le Saint-Siège, tandis que les évêques, les prêtres et les clercs incardinés dans les diocèses ou les ordres religieux savent que sur eux pèse l’épée de Damoclès de la destitution, du renvoi de l’état ecclésiastique, de la privation des moyens mêmes de subsistance.

L’expérience de la messe tridentine dans la vie d’un prêtre

Ceux qui ont eu l’occasion de suivre mes discours et mes déclarations connaissent ma position sur le Concile et le Novus Ordo ; mais ils connaissent aussi ma formation, mes états de service au Saint-Siège, et ma prise de conscience relativement récente de l’apostasie et de la crise dans laquelle nous nous trouvons. Pour cette raison, je voudrais réitérer ma compréhension pour le cheminement spirituel de ceux qui, précisément à cause de cette situation, ne peuvent pas ou ne sont pas encore en mesure de faire un choix radical, comme celui de célébrer ou d’assister exclusivement à la Messe de Saint Pie V. De nombreux prêtres ne découvrent les trésors de la vénérable liturgie tridentine que lorsqu’ils la célèbrent et se laissent imprégner par elle, et il n’est pas rare que la curiosité initiale pour la « forme extraordinaire » – certainement fascinante en raison de la solennité du rite – se transforme rapidement en une prise de conscience de la profondeur des mots, de la clarté de la doctrine, de la spiritualité sans pareille qu’elle fait naître et nourrit dans nos âmes. Il existe une harmonie parfaite que les mots ne peuvent exprimer, et que les fidèles ne peuvent comprendre que partiellement, mais qui touche le cœur du Sacerdoce comme seul Dieu peut le faire. Cela peut être confirmé par mes frères qui se sont approchés de l’usus antiquior après des décennies de célébration obéissante du Novus Ordo : un monde s’ouvre, un cosmos qui comprend la prière du Bréviaire avec les leçons de Matines et les commentaires des Pères, les références aux textes de la Messe, le Martyrologe à l’Heure de Prime… Ce sont des mots sacrés non pas parce qu’ils sont exprimés en latin, mais au contraire, ils sont exprimés en latin parce que la langue vulgaire les avilirait, les profanerait, comme l’a judicieusement observé Dom Guéranger. Ce sont les paroles de l’Épouse à l’Époux divin, les paroles de l’âme qui vit en union intime avec Dieu, de l’âme qui se laisse habiter par la Sainte Trinité. Ce sont des paroles essentiellement sacerdotales, dans le sens le plus profond du terme, qui implique dans le sacerdoce non seulement le pouvoir d’offrir le sacrifice, mais de s’unir par l’oblation de soi-même à la Victime pure, sainte et immaculée. Rien à voir avec les divagations du rite réformé, trop soucieux de plaire à la mentalité sécularisée pour s’adresser à la Majesté de Dieu et à la Cour céleste ; si préoccupé de se rendre compréhensible qu’il doit s’abstenir de communiquer autre chose qu’une évidence privée de vigueur ; si attentif à ne pas blesser la susceptibilité des hérétiques qu’il se permet de garder le silence sur la Vérité au moment même où le Seigneur Dieu se rend présent sur l’autel ; ayant tellement peur de demander aux fidèles le moindre effort qu’il banalise le chant sacré et toute expression artistique liée au culte. Le simple fait que des pasteurs luthériens, des modernistes et des francs-maçons connus aient collaboré à la rédaction de ce rite devrait nous aider à comprendre, sinon la mauvaise foi et la malice, du moins la mentalité horizontale, dépourvue d’impulsion surnaturelle, qui animait les auteurs de la prétendue « réforme liturgique ». Pour autant que nous le sachions, ils ne brillaient certainement pas de la sainteté dont brillent les auteurs sacrés des textes de l’ancien Missale Romanum et de l’ensemble du corpus liturgique.

Combien d’entre vous, prêtres – et certainement aussi de nombreux laïcs – en récitant les admirables versets de la séquence de la Pentecôte, avez été émus aux larmes, en comprenant que votre prédilection initiale pour la liturgie traditionnelle n’avait rien à voir avec une complaisance esthétique stérile, mais s’était transformée en une véritable nécessité spirituelle, aussi inaliénable que la respiration ? Comment pouvez-vous, comment pouvons-nous expliquer à ceux qui voudraient aujourd’hui vous priver de ce bien inestimable, que ce rite béni vous a fait découvrir la vraie nature de votre Sacerdoce, et que c’est de lui et de lui seul que vous pouvez tirer force et nourriture pour affronter les engagements de votre ministère ? Comment pouvez-vous comprendre que le retour obligatoire au rite montinien est pour vous un sacrifice impossible, car dans la lutte quotidienne contre le monde, la chair et le diable, il vous laisse désarmés, prostrés et sans force ?

Il est évident que seuls ceux qui n’ont pas célébré la messe de saint Pie V peuvent la considérer comme un ornement gênant du passé, dont on peut se passer. Même de nombreux jeunes prêtres, habitués au Novus Ordo depuis leur adolescence, ont compris que les deux formes du rite n’ont rien en commun, et que l’une est tellement supérieure à l’autre qu’elle en montre toutes les limites et les aspects critiquables, au point de rendre sa célébration presque douloureuse. Il ne s’agit pas d’une question de nostalgie, de culte du passé : nous parlons ici de la vie de l’âme, de sa croissance spirituelle, de l’ascèse et de la mystique. Ce sont des concepts que ceux qui considèrent leur sacerdoce comme une profession ne peuvent même pas comprendre, tout comme ils ne peuvent pas comprendre le tourment qu’une âme sacerdotale ressent en voyant les Espèces eucharistiques profanées lors des rites de communion grotesques au moment de la farce pandémique.

La vision réductrice de la libéralisation de la messe

C’est pourquoi je trouve extrêmement désagréable de devoir lire dans Traditionis custodes que la raison pour laquelle François estime que le Motu Proprio Summorum Pontificum a pu être promulgué il y a quatorze ans ne réside que dans le désir de résorber le soi-disant schisme de Monseigneur Lefebvre. Bien sûr, le calcul « politique » a pu avoir son poids, surtout à l’époque de Jean-Paul II, même si alors les fidèles de la Fraternité Saint-Pie X étaient numériquement peu nombreux, mais la demande de pouvoir redonner citoyenneté à la Messe qui, pendant deux millénaires, a nourri la sainteté des fidèles et a donné vie à la civilisation chrétienne, ne peut se limiter à un fait contingent.

Avec son Motu Proprio, Benoît XVI a restauré la Messe apostolique romaine dans l’Église, déclarant qu’elle n’avait jamais été abolie. Indirectement, il a admis qu’il y a eu un abus de la part de Paul VI, lorsque, pour imposer son rite d’autorité, il a impitoyablement interdit la célébration de la Liturgie traditionnelle. Et même s’il peut y avoir quelques éléments incongrus dans ce document, comme la coexistence des deux formes du même rite, nous pouvons supposer que ceux-ci ont servi à permettre la diffusion de la forme extraordinaire, sans affecter la forme ordinaire. En d’autres temps, il aurait semblé incompréhensible de laisser célébrer une messe pleine d’équivoques et d’omissions, alors que l’autorité du Pontife aurait pu simplement rétablir le rite ancien. Mais aujourd’hui, avec le lourd fardeau de Vatican II et la mentalité sécularisée désormais répandue, même la simple licéité de célébrer la Messe tridentine sans autorisation peut être considérée comme un bien indéniable ; un bien qui est sous les yeux de tous, pour les fruits copieux qu’il porte dans les communautés où il est célébré. Et il aurait porté encore plus de fruits si seulement Summorum Pontificum avait été appliqué en tous ses points et dans un esprit de véritable communion ecclésiale.

Le prétendu « usage instrumental » du Missale Romanum

François est bien conscient que l’enquête menée auprès des évêques du monde entier n’a pas donné de résultats négatifs, alors que la formulation des questions indiquait clairement les réponses qu’il attendait. Cette consultation fut un prétexte, afin de faire croire que la décision qu’il a prise était inévitable et le résultat d’une demande générale de l’épiscopat. Nous savons tous que si Bergoglio veut obtenir un résultat, il n’hésite pas à recourir au forcing, aux mensonges et aux coups de main : les événements des derniers Synodes l’ont démontré au-delà de tout doute raisonnable, avec l’Exhortation post-synodale rédigée avant même le vote de l’Instrumentum laboris. Dans ce cas aussi, donc, l’objectif était l’abolition de la Messe tridentine et la profasis, c’est-à-dire l’excuse apparente, devait être le prétendu « usage instrumental du Missale Romanum de 1962, de plus en plus caractérisé par un rejet croissant non seulement de la réforme liturgique, mais du Concile Vatican II » (ici). De cet usage instrumental, en toute honnêteté, on peut, le cas échéant, accuser la Fraternité Saint Pie X, qui a parfaitement le droit d’affirmer ce que chacun de nous sait parfaitement, à savoir que la Messe de Saint Pie V est incompatible avec la doctrine et l’ecclésiologie postconciliaires. Mais la Fraternité n’est pas touchée par le Motu Proprio, et a toujours célébré en utilisant le Missel de 1962, précisément en raison de ce droit inaliénable que Benoît XVI a reconnu, et non créé ex nihilo en 2007.

Le prêtre diocésain qui célèbre la messe dans l’église qui lui est assignée par l’évêque et qui, chaque semaine, doit subir un interrogatoire suite aux délations de catholiques progressistes zélés, simplement parce qu’il a osé réciter le Confiteor avant d’administrer la communion aux fidèles, sait très bien qu’il ne peut pas dire du mal du Novus Ordo ou de Vatican II, car à la première syllabe, il se retrouverait déjà convoqué à la Curie et envoyé dans une paroisse perdue dans les montagnes. Ce silence, souvent douloureux et presque toujours perçu par tous comme plus éloquent que de nombreuses paroles, est le prix à payer pour avoir la possibilité de célébrer la Sainte Messe comme toujours, pour ne pas priver les fidèles des grâces qu’elle déverse sur l’Église et le monde. Et ce qui est encore plus absurde, c’est qu’alors que nous entendons impunément que la messe tridentine doit être abolie parce qu’elle est incompatible avec l’ecclésiologie de Vatican II, dès que nous disons la même chose – que la messe montinienne est incompatible avec l’ecclésiologie catholique – nous sommes immédiatement condamnés et notre affirmation est utilisée comme preuve au tribunal révolutionnaire de Santa Marta.

Je me demande quelle maladie spirituelle a pu frapper les pasteurs au cours de ces décennies, pour les amener à être non pas des pères aimants mais des censeurs impitoyables de leurs prêtres, des fonctionnaires zélés, prêts à révoquer tous les droits en vertu d’un chantage qu’ils ne cherchent même pas à dissimuler. Ce climat de suspicion n’aide en rien à la sérénité de nombreux bons prêtres, lorsque le bien qu’ils font est toujours placé sous la loupe de responsables qui considèrent les fidèles liés à la Tradition comme un danger, comme une présence gênante à tolérer tant qu’elle n’est pas trop visible. Mais comment peut-on même concevoir une Église dans laquelle le bien est systématiquement entravé, et où ceux qui le font sont considérés avec suspicion et gardés sous contrôle ? Je comprends donc le scandale de tant de catholiques, de fidèles et d’un bon nombre de prêtres, face à ce « berger qui, au lieu de supporter l’odeur de ses brebis, les frappe rageusement avec un bâton » (ici).

Le malentendu consistant à pouvoir jouir d’un droit comme s’il s’agissait d’une concession gracieuse se retrouve également dans la sphère publique, où l’État se permet d’autoriser les voyages, les cours scolaires, l’ouverture d’entreprises et l’exercice d’un travail, à condition de se soumettre à l’inoculation d’un sérum génétique expérimental. De même que la « forme extraordinaire » est accordée après l’acceptation du Concile et de la messe réformée, de même, dans la sphère civile, les droits des citoyens sont accordés après acceptation du récit de la pandémie, de la vaccination et des systèmes de suivi. Il n’est pas surprenant que dans de nombreux cas, ce soient les prêtres et les évêques – et Bergoglio lui-même – qui exigent que les gens soient vaccinés pour avoir accès aux sacrements : la parfaite synchronisation des actions des deux côtés est pour le moins troublante.

Où est donc cette utilisation instrumentale du Missale Romanum ? Devons-nous plutôt parler de l’usage instrumental du Missel de Paul VI, celui-ci – pour paraphraser les propos de Bergoglio – se caractérisant de plus en plus par un rejet croissant non seulement de la tradition liturgique préconciliaire, mais de tous les conciles œcuméniques antérieurs à Vatican II ? D’autre part, n’est-ce pas François lui-même qui considère comme une menace pour le Concile le fait de célébrer simplement une messe qui désavoue et condamne toutes les déviations doctrinales de Vatican II ?

Autres incohérences

Jamais dans l’histoire de l’Église, un concile ou une réforme liturgique n’a constitué un point de rupture entre l’avant et l’après ! Jamais, au cours de ces deux millénaires, les Pontifes romains n’ont délibérément tracé une frontière idéologique entre l’Église qui les avait précédés et celle qu’ils gouvernaient, effaçant et contredisant le Magistère de leurs prédécesseurs ! Cet avant et cet après, cependant, sont devenus une obsession, tant pour ceux qui ont prudemment insinué des erreurs doctrinales derrière des expressions équivoques, que pour ceux qui – avec l’effronterie de ceux qui croient avoir gagné – ont propagé Vatican II comme « le 1789 de l’Église », comme un événement « prophétique » et « révolutionnaire ». Avant le 7 juillet 2007, face à la libéralisation du rite traditionnel, un maître de cérémonie papal bien connu répondait avec colère : « Pas de retour en arrière ! » De toute évidence, avec François, le fait que Summorum Pontificum a été promulgué n’empêche pas de revenir en arrière, et de la belle manière, si cela sert à préserver le pouvoir et à empêcher le Bien de se répandre ! Cela fait sinistrement écho au « Rien ne sera plus jamais comme avant » de la farce de la pandémie.

L’admission par François d’une prétendue division entre les fidèles attachés à la liturgie tridentine et ceux qui, en grande partie par habitude ou par résignation, se sont adaptés à la liturgie réformée est révélatrice : il ne cherche pas à guérir cette division en reconnaissant les pleins droits à un rite objectivement meilleur que le rite montinien, mais précisément pour éviter que la supériorité ontologique de la Messe de Saint Pie V soit évidente et que cela fasse ressortir les aspects critiquables du rite réformé et de la doctrine qu’il exprime, il l’interdit, le désigne comme source de division, le cantonne dans des réserves indiennes en essayant de limiter au maximum sa diffusion, afin qu’il disparaisse complètement, au nom de la cancel culture dont la révolution conciliaire a été un misérable précurseur. Ne pouvant tolérer que le Novus Ordo et Vatican II soient inexorablement vaincus dans la confrontation avec le Vetus Ordo et le Magistère catholique pérenne, la seule solution qui peut être adoptée est d’effacer toute trace de la Tradition, de la reléguer au rôle de refuge nostalgique de quelque octogénaire irréductible ou d’un petit groupe d’excentriques, ou de la présenter spécieusement comme le manifeste idéologique d’une minorité de fondamentalistes. D’autre part, construire une version médiatique cohérente avec le système – à répéter ad nauseam pour endoctriner les masses – est un élément qui revient non seulement dans la sphère ecclésiastique, mais aussi dans les sphères politique et civile, de sorte qu’il apparaît dans son évidence déconcertante que l’église profonde et l’État profond ne sont rien d’autre que deux voies parallèles, qui vont dans la même direction et ont pour destination finale le Nouvel Ordre Mondial, avec sa religion et son prophète.

La division est là, bien sûr, mais elle ne vient pas des bons catholiques et des clercs qui restent fidèles à la doctrine de toujours, mais de ceux qui ont remplacé l’orthodoxie par l’hérésie et le Saint Sacrifice par les agapes fraternelles. Cette division n’est pas d’aujourd’hui, elle remonte aux années 1960, lorsque « l’esprit du Concile », l’ouverture au monde et le dialogue interreligieux ont bouleversé deux mille ans de catholicisme et révolutionné tout le corps de l’Église, persécutant ou ostracisant les réfractaires. Pourtant, cette division, accomplie en introduisant la confusion doctrinale et liturgique dans le giron de l’Église, ne semblait pas alors si déplorable ; alors qu’aujourd’hui, en pleine apostasie, ce sont précisément ceux qui appellent non pas à la condamnation explicite de Vatican II et du Novus Ordo, mais au moins à la tolérance de la Messe « en forme extraordinaire », au nom du pluralisme polyédrique tant vanté, qui sont considérés comme paradoxalement source de division.

Il est significatif que, même dans la sphère civile, la protection des minorités ne s’applique que lorsqu’elles servent à démolir la société traditionnelle, alors qu’elle est ignorée lorsqu’elle devrait garantir les droits légitimes des honnêtes citoyens. Et il est devenu clair que, sous le prétexte de protéger les minorités, l’intention n’était que d’affaiblir la majorité composée de gens de bien, alors que maintenant que la majorité est composée d’égarés, la minorité des gens de bien peut être écrasée sans pitié : l’histoire récente ne manque pas de précédents éclairants à cet égard.

La nature tyrannique de Traditionis custodes

A mon avis, ce qui est choquant n’est pas tant tel ou tel point du Motu Proprio, mais son caractère tyrannique global, accompagné d’une fausseté substantielle des arguments utilisés pour justifier les décisions imposées. Tout aussi scandaleux est l’abus de pouvoir d’une autorité qui a pour raison d’être non pas d’empêcher ou de limiter les grâces accordées à ses membres par l’Église, mais de les favoriser ; non pas de retirer la gloire à la Majesté divine par un rite qui fait un clin d’œil aux protestants, mais de la rendre parfaite ; non pas de semer des erreurs doctrinales et morales, mais de les condamner et de les éradiquer. Là encore, le parallèle avec ce qui se passe dans le monde civil n’est que trop évident : nos gouvernants abusent de leur pouvoir de la même manière que nos prélats, imposant des règles et des restrictions en violation des principes du droit les plus élémentaires. En outre, ceux qui détiennent le pouvoir, des deux côtés, se prévalent souvent d’une simple reconnaissance de facto par la base – les citoyens et les fidèles – même lorsque la manière dont ils ont accédé au pouvoir viole, sinon la lettre, du moins l’esprit de la loi. Le cas de l’Italie, où un gouvernement non élu légifère sur la vaccination obligatoire et le green pass en violation de la Constitution et des droits naturels des Italiens, ne semble pas très différent de la situation dans laquelle se trouve l’Église, avec un pape démissionnaire remplacé par Jorge Mario Bergoglio, choisi – ou du moins apprécié et soutenu – par la Mafia de Saint-Gall et l’épiscopat ultra-progressiste. Il reste évident qu’il existe une profonde crise de l’autorité, tant civile que religieuse, dans laquelle ceux qui exercent le pouvoir le font contre ceux qu’ils sont censés protéger et surtout contre le but pour lequel cette autorité est constituée.

Analogies entre l’Église profonde et l’État profond

Je pense que l’on s’est rendu compte que la société civile et l’Église souffrent du même cancer qui a frappé la première avec la Révolution française et la seconde avec le concile Vatican II : dans les deux cas, la pensée maçonnique est à l’origine de la démolition systématique de l’institution et de son remplacement par un simulacre qui en conserve l’apparence extérieure, la structure hiérarchique et la force coercitive, mais avec des objectifs diamétralement opposés à ceux qu’elle devrait avoir.

A ce stade, les citoyens d’une part et les fidèles d’autre part se trouvent dans la situation de devoir désobéir à l’autorité terrestre pour obéir à l’autorité divine, qui régit les États et l’Église. De toute évidence, les « réactionnaires » – ceux qui n’acceptent pas la perversion de l’autorité et qui veulent rester fidèles à l’Église du Christ et à la patrie – constituent un élément de dissidence qui ne peut être toléré en aucune façon, et qui doit donc être discrédité, délégitimé, menacé et privé de ses droits, au nom d’un « bien public » qui n’est plus le bonum commune mais son contraire. Qu’ils soient accusés de conspirationnisme ou de traditionalisme, de complot ou de fondamentalisme, ces quelques survivants d’un monde qu’on veut voir disparaître constituent une menace pour la réalisation du plan global au moment le plus crucial de sa mise en œuvre. C’est pourquoi les pouvoirs en place réagissent si ouvertement, si effrontément et si violemment : l’évidence de la fraude risque d’être comprise par un plus grand nombre de personnes, de les rassembler dans une résistance organisée, de briser le mur du silence et la censure féroce imposés par le mainstream (courant dominant).

Nous pouvons donc comprendre la violence des réactions des autorités, et nous préparer à une opposition forte et déterminée, en continuant à faire usage des droits qui nous sont abusivement et illégalement refusés. Certes, nous pouvons nous trouver dans l’obligation d’exercer ces droits de manière incomplète, lorsqu’on nous refuse la possibilité de voyager si nous n’avons pas de green pass, ou lorsque l’évêque nous interdit de célébrer la messe dans une église de son diocèse ; mais notre résistance aux abus de l’autorité pourra toujours compter sur les grâces que le Seigneur ne cessera de nous accorder, en particulier la vertu et le don de force, indispensables en temps de tyrannie.

Une normalité qui fait peur

Si, d’une part, nous pouvons voir comment la persécution des dissidents est bien organisée et planifiée, d’autre part, nous ne pouvons manquer de reconnaître la fragmentation de l’opposition. Bergoglio sait bien qu’il faut d’abord faire taire tout mouvement de dissidence en créant la division au sein de l’Église et en isolant les prêtres et les fidèles. Une collaboration fructueuse et fraternelle entre le clergé diocésain, les religieux et les Instituts Ecclesia Dei est une éventualité à éviter, car elle permettrait la diffusion de la connaissance de l’ancien rite, outre le fait d’être une aide précieuse dans le ministère. Mais cela signifierait faire de la Messe tridentine une « normalité » dans la vie quotidienne des fidèles, ce qui pour François n’est pas tolérable. Pour cette raison, les clercs diocésains sont laissés à la merci des Ordinaires, tandis que les Instituts Ecclesia Dei sont placés sous l’autorité de la Congrégation pour les Religieux, comme un triste prélude à un destin déjà scellé. N’oublions pas le sort qui a frappé des Ordres religieux florissants, coupables d’être bénis par de nombreuses vocations nées et élevées précisément grâce à la Liturgie traditionnelle détestée et à l’observance fidèle de la Règle. C’est pourquoi certaines formes d’insistance sur l’aspect cérémoniel des célébrations risquent de légitimer les mesures de mise sous tutelle et font le jeu de Bergoglio.

Même dans la sphère civile, en encourageant certains excès de la part des dissidents, les gouvernants les marginalisent et légitiment les mesures répressives à leur encontre : pensons au cas des mouvements no-vax et à la facilité avec laquelle on discrédite les protestations légitimes des citoyens, en soulignant les excentricités et les incohérences de quelques-uns. Et il est trop facile de condamner quelques personnes exagérées qui, par exaspération, ont mis le feu à un pavillon de vaccination, éclipsant ainsi les millions d’honnêtes gens qui descendent dans la rue pour éviter d’être marqué avec le passeport sanitaire ou d’être licenciés s’ils ne se laissent pas vacciner.

Ne pas rester isolé et désorganisé

Un autre élément important pour nous tous est la nécessité de donner une visibilité à notre protestation ordonnée et d’assurer une forme de coordination de l’action publique. Avec l’abolition du Summorum Pontificum, nous nous trouvons ramenés vingt ans en arrière ; cette décision malencontreuse de Bergoglio d’annuler le Motu Proprio du pape Benoît est vouée à un échec inexorable, car elle touche l’âme même de l’Église dont le Seigneur est Pontife et Grand Prêtre. Et il n’est pas certain que l’épiscopat tout entier – comme nous le constatons avec soulagement ces jours-ci – soit disposé à se soumettre passivement à des formes d’autoritarisme qui ne contribuent certainement pas à la pacification des âmes. Le Code de droit canonique assure aux évêques la possibilité de dispenser leurs fidèles des lois particulières ou universelles, sous certaines conditions ; deuxièmement, le peuple de Dieu a bien compris la nature subversive de Traditionis custodes et veut instinctivement savoir ce qui suscite une telle désapprobation chez les progressistes. Ne nous étonnons donc pas si, dans les églises où est célébrée la Messe traditionnelle, nous voyons des fidèles de la vie paroissiale ordinaire et même des personnes éloignées de l’Église. Il sera de notre devoir, en tant que ministres de Dieu ou simples fidèles, de faire preuve de fermeté et de résistance sereine à un tel abus, en suivant notre petit calvaire quotidien avec un esprit surnaturel, tandis que les nouveaux grands prêtres et les scribes du peuple se moquent de nous et nous désignent comme des fanatiques. Ce sera notre humilité, l’offrande silencieuse des injustices dont nous sommes victimes et l’exemple d’une vie cohérente avec le Credo que nous professons qui méritera le triomphe de la Messe catholique et la conversion de nombreuses âmes. Et souvenons-nous que, ayant beaucoup reçu, beaucoup nous sera demandé.

Restitutio in integrum

Quel père parmi vous, si son fils demande du pain, lui donnera une pierre ? Ou s’il demande un poisson, lui donnera-t-il un serpent au lieu d’un poisson ? Ou s’il demande un œuf, lui donnera-t-il un scorpion ? (Lc 11, 11-12). Nous pouvons maintenant comprendre plus en profondeur le sens de ces mots, en considérant avec douleur et déchirement le cynisme d’un père qui nous donne les pierres d’une liturgie sans âme, les serpents d’une doctrine corrompue et les scorpions d’une morale frelatée. Et qui va jusqu’à diviser le troupeau du Seigneur entre ceux qui acceptent le Novus Ordo et ceux qui veulent rester fidèles à la Messe de nos pères, tout comme les gouvernants opposent les vaccinés et les non-vaccinés.

Lorsque notre Seigneur, assis sur le petit d’une ânesse, entra dans Jérusalem tandis que la foule étendait ses manteaux sur son passage, les Pharisiens lui demandèrent : « Maître, reprends tes disciples. » Le Seigneur leur répondit : « Je vous le dis, s’ils se taisent, les pierres crieront » (Lc 19, 28-40). Depuis soixante ans, les pierres de nos églises crient, privées deux fois, depuis lors, du Saint Sacrifice. Le marbre des autels, les colonnes des basiliques, les voûtes vertigineuses des cathédrales ont poussé des cris. Parce que ces pierres, consacrées au culte du vrai Dieu, sont aujourd’hui abandonnées et désertées, ou profanées par des rites exécrables, ou transformées en parkings et supermarchés, précisément à cause de ce Concile que l’on s’obstine à défendre. Nous aussi, crions, nous qui sommes les pierres vivantes du temple de Dieu : crions avec confiance au Seigneur, afin qu’il redonne une voix à ses disciples, qui sont aujourd’hui muets. Et pour que soit réparé le vol intolérable dont les intendants mêmes de la vigne du Seigneur ont été rendus responsables.

Mais pour que ce vol soit réparé, nous devons nous montrer dignes des trésors qui nous ont été enlevés. Essayons de le faire par notre sainteté de vie, par l’exemple de la vertu, par la prière et la vie des sacrements. Et n’oublions pas qu’il existe des centaines de bons prêtres qui savent encore ce que signifie l’onction sacrée par laquelle ils ont été ordonnés ministres du Christ et dispensateurs des mystères de Dieu. Le Seigneur daigne descendre sur nos autels, même lorsqu’ils sont érigés dans des caves ou des greniers. Contrariis quibuslibet minime obstantibus.

+ Carlo Maria Viganò, archevêque

28 juillet 2021
Ss. Nazarii et Celsi Martyrum,
Victoris I Papae et Martyris ac
Innocentii I Papae et Confessoris

[1]  — Littéralement : «  Où ils font un désert, ils disent qu’ils ont fait la paix. » Tacite, Vie d’Agricola, 30. Ces mots s’appliquent aux conquérants qui habillent leurs ravages d’un spécieux prétexte de civilisation. (Note du traducteur.)
[2]  — Liberté de parole, franchise. (Note du traducteur.)

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